Le dérèglement climatique est-il la seule urgence environnementale de portée véritablement globale ?

« Une confusion, porteuse de conséquences potentiellement graves, s’est durablement installée dans le débat public au sujet des préoccupations environnementales actuelles. Elle consiste à considérer que le dérèglement climatique est la seule urgence environnementale, de portée véritablement globale” Selon Christian Amblard, directeur de recherche honoraire au CNRS et naturaliste, dans une tribune publiée dans Le Monde.

L’enjeu climatique comme une vampirisation de l’environnement

L’auteur de ce livre, Guillaume Sainteny, enseignant à AgroParisTech et spécialiste des questions environnementales, parle de« vampirisation des politiques de l’environnement par la politique climatique ». Son propos s’appuie sur une démonstration méthodique, illustrée par de multiples exemples. Certaines parties de son argumentaire ne sont désormais plus tout à fait à jour, mais la mise en garde reste globalement juste sur le fond.

Entre autres choses, l’auteur montre (à date de 2015) que le nombre de tonnes de CO2 émises ou évitées « tend à devenir le critère prépondérant dans les politiques publiques environnementales », voire parfois le seul indicateur considéré, « omettant les pollutions de l’air, de l’eau, du sol, le bruit, les impacts sur la biodiversité, les paysages, etc. ». Il est aussi, « parfois, le seul à être commenté dans les médias ».

Ces choix ont conduit selon lui à négliger les autres enjeux environnementaux et à les sous-évaluer grandement dans les évaluations socio-économiques (les travaux évaluant les coûts-avantages pour la collectivité de projets d’investissement public).

En analysant les lois issues du Grenelle de l’environnement, de 2009 et 2010, il montre ainsi que ces lois ont été « essentiellement axées sur le changement climatique, tant en termes d’objectifs affichés que de moyens annoncés ». « La majorité des financements du Grenelle a été affectée aux secteurs liés au climat, et non à la biodiversité ou à la pollution de l’air et des sols ».

De même, il fait remarquer que politiques environnementales et politique climatique se trouvent parfois assimilées, à tort, notamment par de grandes institutions publiques. Il donne ainsi l’exemple d’un rapport de la Cour des Comptes réduisant le développement durable à la politique climatique, qui n’en est pourtant qu’une partie.

Véritable confusion médiatique

Le monde politique et institutionnel n’est pas le seul mis en cause par Guillaume Sainteny : celui-ci pointe notamment du doigt les « ONG humanitaires, dont un certain nombre ont incorporé peu à peu le changement climatique dans leurs prises de position à partir des années 2000. Or, assez souvent, cette catégorie d’ONG s’empare du thème climatique sans se saisir d’autres problématiques environnementales ou sans faire le lien avec celles-ci. De ce fait, elles négligent ou sous-estiment ces autres questions et ses potentielles contradictions avec l’enjeu climatique ».

Mais ce sont surtout ses exemples médiatiques qui sont frappants. Citons ici trois passages :

1/ « Sous le quinquennat Hollande, deux lois importantes relatives à l’environnement sont adoptées en conseil des ministres puis examinées par le Parlement – l’une sur la transition énergétique, l’autre sur la biodiversité. La couverture de ces deux textes par les médias est sans commune mesure [en faveur du premier texte, directement lié à la politique climatique]. Pourtant, le second contient des dispositions importantes et novatrices. »

2/ « Non seulement les médias français accordent une place très supérieure au changement climatique par rapport aux autres problèmes environnementaux, mais ils l’isolent de ceux-ci, le traitant de façon autonome, sans voir ou mettre en évidence ses relations avec eux. Ainsi, il est parfois présenté comme une cause importante de l’érosion de la biodiversité, de la dégradation des sols, etc. Mais en réalité, le changement climatique est la conséquence de ces dégradations avant d’en être la cause. Le déboisement, la mise en culture des prairies, l’assèchement des zones humides déstockent du carbone et freinent son absorption. »

3/ « Les médias français en viennent parfois, en se trompant factuellement, à assimiler tout événement sur l’environnement à la politique climatique ». Plusieurs exemples sont cités par l’auteur, dont celui-ci : en novembre 2014, France Info présente à ses auditeurs la Conférence environnementale comme étant « le rendez-vous du climat », alors que celle-ci traite cette année-là de trois sujets : « environnement et santé », « transport et mobilité durable », « mobilisation pour le climat et la biodiversité ».

De façon générale, selon lui « l’enjeu climatique domine tellement les autres sujets environnementaux que de nombreux journalistes emploient l’expression « transition énergétique » pour évoquer la « transition écologique » ». Ce faisant, écrit-il, ces médias influent sans le vouloir sur les préoccupations de l’opinion et incitent à utiliser le seul climat comme critère d’évaluation pour juger de la qualité d’une politique environnementale – ce qui est un problème.

Le vivant, une réalité au-delà du climat

A ce stade, il me semble important de préciser que la situation n’est plus exactement la même qu’en 2015, lorsque le livre de Guillaume Sainteny est paru. Entre 2015 et aujourd’hui, les sujets environnementaux ont, depuis, gagné en importance, à plusieurs niveaux : préoccupation dans l’opinion publique, couverture médiatique (aussi bien en presse écrite que dans les journaux télévisés), place dans la vie politique et la vie économique, etc.

L’importance de la biodiversité, en particulier, est de plus en plus soulignée, en France (un Secrétariat d’Etat à la biodiversité a d’ailleurs vu le jour en 2016, et a été recréé en juillet 2020 après avoir disparu du gouvernement) et à l’international (notamment via l’IPBES, l’équivalent du GIEC pour la biodiversité, qui a sorti un premier grand rapport en 2019, bien relayé à sa sortie).

L’évolution des préoccupations environnementales des Français montre bien cette montée de la biodiversité dans l’opinion publique depuis 2015 :

Pour autant, le problème soulevé il y a six ans par Guillaume Sainteny reste largement présent, si ce n’est aussi important qu’avant. « L’attention à la perte de biodiversité est éclipsée par la crise climatique » indiquait, parmi d’autres, un papier paru dans Nature Communications début 2020.

Quid sur le score carbone de la viande

Un exemple très actuel illustre ce problème : la notation carbone de viande. Même s’il n’est pas encore imposé, l’affichage du bilan environnemental des produits alimentaires semble inéluctable à moyen terme ; plusieurs organisations dont Yuka ont du reste déjà lancé leur « éco-score » début 2021. Problème : les professionnels des filières ovines et bovines se sont rendus compte que dans certains cas, les notes de leurs produits « sont plus mauvaises quand les systèmes sont vertueux (élevage herbager, bio…) » en raison de la méthode de calcul utilisée, qui pâtit « de plusieurs angles morts importants ».

Ainsi, selon leur constat (partagé) par de nombreuses ONG, environnementales et de bien-être animal), une viande « issue de parcs d’engraissement intensifs américains affiche un meilleur score environnemental qu’une viande issue de bovins pâturant sur de grandes surfaces de prairie, qui stockent du carbone et protègent la biodiversité ». De même, « un poulet industriel élevé en cinq semaines pourrait obtenir une meilleure notation environnementale qu’un poulet au grain élevé en plein air ».

Et la séquestration carbone ?

L’un des paradoxes de la CSC est qu’elle nécessite, au nom de la lutte contre le réchauffement, de rajouter des installations industrielles à des infrastructures existantes déjà lourdes — autrement dit, de rajouter de l’industrialisation à une industrialisation déjà très développée, avec les conséquences que ce modèle implique en surconsommation d’énergie et de ressources (la CSC implique notamment d’utiliser plus d’énergie pour produire la même quantité d’électricité pour…

Les autres procédés de captures de carbone

S’agissant du captage du CO2 directement dans l’atmosphère (dite DAC, pour Direct Air Capture) :

La DAC affronte un défi plus important encore que la capture en sortie d’usine, car la concentration de CO2 dans l’atmosphère est bien plus faible (entre 100 à 300 fois plus faible que pour la CSC en sortie de production). En conséquence, le besoin en énergie et donc en investissement financier est massif : les coûts financiers sont 5 à 10 fois supérieurs à ceux du captage du…

Pourquoi la focalisation sur le seul climat est un problème ?

Peu défendent explicitement l’idée de décarboner à tout prix, quoi qu’il en coûte environnementalement ou presque. Mais dans les faits, de nombreuses décisions, en mettant le climat sur un piédestal, s’en rapprochent.

En juin dernier, le Medef justifiait ainsi la non-prise en compte de la biodiversité et de l’artificialisation des sols dans le volet « environnement » du plan de relance qu’il proposait : « nous nous sommes fixés la décarbonation en priorité n°1. …Environnementale, Environnementale, Environnementale, Environnementale,