L’eau en danger : vers la fin de l’innocence hydrique

L’eau en danger

L’eau en danger : pendant des décennies, l’accès à l’eau potable a symbolisé une conquête sanitaire et sociale majeure, surtout en France où tourner un robinet garantissait une eau claire, saine et buvable sans crainte. Aujourd’hui, ce geste banal est en train de devenir un acte de défiance. Les scandales liés à la qualité de l’eau, qu’elle soit en bouteille ou issue du réseau public, se multiplient. Pollutions invisibles, présence de substances toxiques, défaillances réglementaires : l’eau que nous consommons n’est plus la source de vie insouciante qu’elle prétendait être. Dans son livre C’est l’eau qu’on assassine, le journaliste Fabrice Nicolino tire la sonnette d’alarme. À travers une enquête rigoureuse, il décrypte un désastre environnemental et sanitaire en cours et en appelle à un sursaut collectif. Voici un éclairage approfondi sur ce que cache désormais l’eau que nous buvons.

Une révolution en péril : de la conquête de l’eau potable à sa contamination généralisée

L’accès généralisé à l’eau potable a constitué, au XXe siècle, un progrès inestimable. Pour des générations entières, il a signifié la fin des maladies hydriques, la démocratisation de l’hygiène et un confort moderne devenu naturel. Fabrice Nicolino souligne que ce progrès, bien réel, est aujourd’hui menacé. Pourquoi ? Parce que la chimie de synthèse, omniprésente dans notre environnement, s’est introduite dans le cycle de l’eau. Des milliers de molécules issues de l’industrie, des pesticides, des produits pharmaceutiques ou encore des cosmétiques se retrouvent dans l’eau que nous buvons.

Pendant un temps, les systèmes de traitement ont pu faire illusion, éliminant une partie de ces substances. Mais désormais, ils sont dépassés. Les infrastructures ne parviennent plus à filtrer efficacement une telle diversité chimique, surtout lorsque les interactions entre molécules sont elles-mêmes mal comprises. Le robinet, autrefois symbole de modernité, devient ainsi la porte d’entrée de cocktails toxiques dont les effets à long terme échappent encore à la science.

Une eau du robinet saturée de poisons invisibles

Qu’y a-t-il vraiment dans notre eau ? Nicolino dresse une liste alarmante : résidus de pesticides, de médicaments, de perturbateurs endocriniens, de microplastiques… La contamination est multiple et sournoise. Les fameux PFAS, surnommés « polluants éternels », en sont un exemple emblématique : ces substances utilisées dans l’industrie sont pratiquement indestructibles et s’accumulent dans l’environnement et le corps humain.

Plus inquiétant encore, de récentes recherches du CNRS ont révélé la présence d’environ un millier de microplastiques par litre d’eau potable. Invisibles à l’œil nu, ces particules traversent les barrières biologiques, s’accumulent dans les tissus, atteignent même le cerveau. Leur toxicité, bien que difficile à quantifier, est indéniable. Il ne s’agit pas d’un risque hypothétique mais d’une exposition quotidienne à des substances dont les effets cumulatifs sont potentiellement désastreux.

Face à cette situation, les autorités ont pris une décision qui suscite la controverse : plutôt que de renforcer la protection de la ressource, elles modifient les normes de potabilité pour éviter d’avoir à déclarer l’eau impropre à la consommation. Autrement dit, on adapte la réglementation à la pollution au lieu de lutter contre cette dernière.

Les eaux en bouteille : l’illusion de la pureté

Et l’eau en bouteille, souvent perçue comme une alternative plus sûre ? Là aussi, la désillusion est totale. Fabrice Nicolino révèle que même les eaux minérales dites naturelles sont désormais touchées par la pollution. En théorie, ces eaux ne peuvent subir aucun traitement : elles doivent jaillir pures de la source. En pratique, plusieurs grandes marques, confrontées à des contaminations bactériennes ou chimiques, ont illégalement recours à des procédés de filtration interdits par la loi française.

L’exemple de Perrier, marque emblématique, illustre cette dérive. En réponse à des analyses révélant la présence de bactéries pathogènes ou de résidus de pesticides, des traitements ont été discrètement mis en place avec la complicité tacite de l’État. Ce contournement réglementaire constitue une fraude grave, puisqu’il transforme une eau « naturelle » en eau techniquement traitée, sans en informer le consommateur.

Plutôt que d’affronter les causes profondes de la pollution — l’usage massif de produits chimiques, l’agriculture intensive, le relâchement réglementaire — les industriels préfèrent masquer les effets, au risque de trahir la confiance du public et de mettre en danger la santé des populations.

Pollution des milieux aquatiques : l’eau de baignade en sursis

La pollution de l’eau ne se limite pas à l’eau potable ou en bouteille. Elle touche également les rivières, les lacs et les zones littorales. Nicolino rapporte une étude scientifique menée entre Hendaye et La Rochelle, révélant que les eaux de baignade sont massivement contaminées par des bactéries résistantes aux antibiotiques. C’est un phénomène peu connu du grand public, mais extrêmement préoccupant : les eaux côtières, fréquentées chaque été par des millions de touristes, peuvent devenir un vecteur de propagation de résistances microbiennes.

La cause de cette pollution est double : les rejets insuffisamment traités des stations d’épuration et l’usage intensif d’antibiotiques en médecine humaine comme en élevage. Le lien avec l’industrie touristique, qui pèse lourdement dans l’économie française, rend le sujet encore plus sensible : peu de responsables veulent alerter sur une situation qui pourrait nuire à cette activité stratégique.

Un appel au sursaut : changer radicalement notre rapport à l’eau

Face à l’ampleur du désastre, Fabrice Nicolino n’en reste pas à la dénonciation. Il plaide pour un sursaut éthique, moral et philosophique. L’eau n’est pas un produit comme un autre. Elle est au cœur de notre biologie, de notre culture, de notre civilisation. Notre cerveau est composé à 80 % d’eau : la polluer, c’est nous abîmer nous-mêmes.

Le journaliste appelle à une prise de conscience radicale : il ne suffit plus de dépolluer. Il faut stopper à la source les causes de la pollution. Cela implique de revoir en profondeur notre modèle agricole, notre dépendance à la chimie industrielle, notre logique de consommation à outrance. Il s’agit, selon Nicolino, de « sacraliser » l’eau, de lui redonner le statut qu’elle mérite : celui d’un bien commun inviolable, à protéger à tout prix.

Conclusion : une crise de civilisation

Le constat de Fabrice Nicolino est sans appel : nous sommes en train de tuer l’eau, et donc de mettre en péril notre avenir collectif. Cette crise de l’eau est bien plus qu’un enjeu environnemental : c’est une crise de civilisation. Elle questionne nos priorités, notre rapport au vivant, nos choix économiques. Alors que les pollutions s’accumulent et que les institutions semblent dépassées, il revient à chaque citoyen, à chaque collectivité, à chaque entreprise, de réinventer un rapport respectueux et lucide à cette ressource vitale.

L’eau qu’on assassine n’est pas seulement un cri d’alerte. C’est un manifeste pour une nouvelle culture de l’eau, faite de respect, de sobriété et de justice. Une culture dont dépend peut-être notre survie.

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