
Le marché européen des fonds ouverts et des ETF a connu un excellent début d’année 2025, enregistrant des souscriptions nettes de 161 milliards d’euros au premier trimestre. Derrière cette performance globale, les flux de capitaux révèlent des arbitrages complexes : face aux incertitudes économiques et géopolitiques, les investisseurs cherchent un équilibre entre sécurisation et opportunités. Décryptage approfondi de ces tendances.
Les obligations : un refuge prisé dans un climat incertain
Le premier trimestre 2025 a été marqué par un engouement massif pour les fonds obligataires, qui ont attiré 83 milliards d’euros, représentant plus de la moitié des souscriptions totales. Cette préférence des investisseurs s’explique par un contexte économique et géopolitique sous tension, alimenté par des inquiétudes sur la croissance mondiale, des perspectives de politiques monétaires incertaines et la persistance de conflits régionaux.
Dans cet environnement, les stratégies les plus prudentes ont été plébiscitées. Les fonds obligataires à ultra court terme libellés en euros ont dominé la collecte. Ces produits, investis sur des échéances très courtes, permettent aux investisseurs de limiter leur exposition au risque de taux d’intérêt tout en bénéficiant d’un rendement supérieur aux liquidités classiques. Ce succès traduit une volonté de préserver la liquidité tout en maintenant une rentabilité minimale face à une inflation encore présente.
Les fonds obligataires en francs suisses ont également bénéficié de leur statut de valeur refuge. La devise helvétique, historiquement perçue comme stable en période de turbulences monétaires, a attiré les investisseurs soucieux de se protéger contre les fluctuations du dollar et les incertitudes liées aux devises émergentes.
Par ailleurs, les fonds obligataires flexibles, capables d’ajuster leur exposition entre différentes maturités, devises et catégories d’émetteurs, ont poursuivi leur progression. Ces stratégies « tout-terrain » séduisent particulièrement dans un environnement volatil où les arbitrages tactiques deviennent essentiels pour préserver la performance. Enfin, signe encourageant, les fonds investis sur la dette des marchés émergents ont renoué avec des flux positifs après deux années de retraits massifs, traduisant un regain de confiance progressif malgré les risques persistants.
Les actions : un élan ralenti mais encore porteur
Les fonds actions européens ont poursuivi leur dynamique positive avec un cinquième trimestre consécutif de collecte, bien que le rythme ait ralenti par rapport au dernier trimestre 2024. La collecte nette a surtout été portée par les fonds d’actions mondiales de grande capitalisation, qui ont capté l’essentiel des flux grâce à l’attrait pour les stratégies passives, responsables de 70 % des entrées.
Cependant, les flux ont révélé une réorientation géographique notable. Alors que les fonds investis sur les actions américaines de grande capitalisation ont vu l’intérêt se tarir, en raison des incertitudes politiques et économiques autour de la politique budgétaire et commerciale américaine, les actions européennes ont connu un retour en grâce. Après trois années de sorties nettes cumulées, les investisseurs européens semblent redécouvrir les atouts du Vieux Continent, soutenus par des valorisations attractives et une stabilisation relative du cadre politique et réglementaire.
Certaines poches sectorielles se sont distinguées : les fonds axés sur les secteurs financiers ont poursuivi leur progression, profitant d’une meilleure visibilité sur les perspectives de marge et de croissance dans le secteur bancaire et assurantiel. En revanche, les fonds investis sur les actions britanniques continuent d’accumuler les retraits : le premier trimestre a enregistré 13 milliards d’euros de sorties supplémentaires, prolongeant une tendance de défiance persistante envers le marché britannique, fragilisé par les incertitudes post-Brexit et la faiblesse économique.
Matières premières et thématiques : entre regain tactique et désenchantement structurel
Les fonds investis dans les matières premières ont connu un net regain d’intérêt au premier trimestre, attirant plus de 5 milliards d’euros après plusieurs trimestres de décollecte. Cette inversion de tendance est portée par les craintes persistantes d’inflation, ravivées par les tensions géopolitiques, les perturbations des chaînes d’approvisionnement et la volatilité des prix de l’énergie. Les investisseurs cherchent ainsi à se protéger contre l’érosion du pouvoir d’achat de leurs portefeuilles en se tournant vers des actifs tangibles.
À l’inverse, les fonds thématiques ont continué de souffrir, accumulant depuis juin 2023 des retraits de 72 milliards d’euros. Ce désintérêt touche en particulier les fonds axés sur le « monde physique », comme l’énergie ou les ressources naturelles, confrontés à des cycles sectoriels défavorables et à une révision des attentes de croissance. Seule exception notable : les ETF axés sur le secteur de la défense, qui ont bénéficié d’un regain d’intérêt marqué à la suite des annonces de hausses des budgets militaires en Europe et aux États-Unis. Ces flux traduisent un repositionnement tactique des investisseurs vers des secteurs perçus comme stratégiques dans le nouvel ordre géopolitique mondial.
Les fonds durables : un essoufflement inattendu
Après plusieurs années de forte croissance, les fonds durables ont marqué le pas au premier trimestre 2025, avec un solde net de retraits de 1,1 milliard d’euros. Plusieurs explications se conjuguent pour expliquer ce ralentissement : des performances en demi-teinte, un cadre réglementaire de plus en plus contraignant, et un certain recul de l’engagement politique sur les sujets environnementaux dans plusieurs pays européens.
La décollecte a été particulièrement marquée sur les fonds actifs, qui ont subi 4,4 milliards d’euros de retraits, alors que les fonds passifs ont enregistré 3,3 milliards d’euros d’entrées nettes. Ce contraste suggère que si l’appétit pour les thématiques ESG persiste, les investisseurs se montrent désormais plus attentifs aux frais de gestion et privilégient les solutions indicielle pour leurs expositions durables. Par ailleurs, la multiplication des controverses autour du greenwashing et des critères ESG pourrait également expliquer cette prudence accrue des souscripteurs.
Les ETF européens : un moteur de croissance inédit
Le marché des ETF en Europe a battu un record historique au premier trimestre 2025, avec 91 milliards d’euros d’entrées nettes. Ce dynamisme témoigne de la montée en puissance continue de la gestion passive sur le continent, qui représente désormais près de 30 % des encours totaux des fonds européens, une part en passe d’égaler celle observée aux États-Unis.
Les ETF actions ont concentré l’essentiel de la collecte, même si la demande pour les expositions américaines s’est modérée. Les investisseurs européens ont en effet redirigé une partie de leurs flux vers les actions domestiques, reflétant un regain de confiance dans les perspectives économiques européennes, mais aussi une volonté de réduire l’exposition au risque de change lié au dollar.
Les ETF obligataires ont continué d’attirer, portés par la demande pour les obligations d’État, considérées comme des placements prudents dans un environnement d’incertitude macroéconomique. Quant aux ETF investis sur les matières premières, ils ont bénéficié d’un intérêt renouvelé, en ligne avec la tendance observée sur les fonds traditionnels, offrant aux investisseurs une exposition liquide et diversifiée aux actifs réels.
Les acteurs de la gestion d’actifs : BlackRock consolide son leadership, Aberdeen et Eurizon à la peine
Le premier trimestre a confirmé l’hégémonie de certains grands noms de la gestion d’actifs. BlackRock s’est imposé comme le grand gagnant, engrangeant 31 milliards d’euros de souscriptions, grâce à la force de son offre d’ETF et de fonds indiciels. La capacité du géant américain à capter la demande pour des solutions passives à bas coûts lui a permis de consolider sa position de leader sur le marché européen.
À l’opposé, Aberdeen (récemment rebaptisé Abrdn) et Eurizon ont enregistré chacune 6 milliards d’euros de sorties nettes, prolongeant les pertes déjà accumulées en 2024. Ces désinvestissements reflètent des difficultés structurelles liées à la performance de certains produits, mais aussi à un déficit d’attractivité face à la concurrence croissante des acteurs passifs.
En conclusion, le premier trimestre 2025 illustre les arbitrages subtils des investisseurs européens, entre recherche de sécurité et quête d’opportunités. Les flux massifs vers les obligations et les ETF traduisent une montée en puissance des stratégies défensives et passives, tandis que les actions européennes et certains secteurs stratégiques, comme la défense, retrouvent les faveurs du marché. Dans un environnement marqué par l’incertitude, la sélectivité et l’agilité resteront des atouts clés pour les mois à venir.
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