RÈGLEMENTATION – DE L’ARTICLE 173 À L’ARTICLE 29 DE LA LOI ÉNERGIE – CLIMAT

Quelques jours après la parution du décret d’application de l’article 29 de la loi énergie-climat, Catherine Crozat, responsable des projets ESG chez CPR AM, analyse les nouvelles obligations relatives à la prise en compte des risques climatiques et biodiversité dans les stratégies d’investissements institutionnels.

COMMENT PRÉSENTER L’ARTICLE 29 DE LA LOI ÉNERGIE-CLIMAT ?

L’article 29 de la loi énergie-climat s’inscrit à la suite de l’article 173.6 de la loi pour la transition énergétique et la croissance verte d’août 2015. Celui-ci a permis aux investisseurs institutionnels et aux gérants de portefeuilles français de s’approprier il y a quatre ans les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Il a influencé la Commission européenne, qui a inscrit à son plan d’action pour la finance durable le besoin d’aboutir sur un règlement « disclosure ».

Dans ce règlement, publié au Journal officiel de l’Union européenne en novembre 2019, la France a obtenu un considérant autorisant les États qui le souhaitent à disposer d’un cadre plus exigeant en matière d’information extra-financière.

L’article 29 de la loi énergie-climat vient ainsi transposer le règlement « disclosure » tout en conservant l’avance de la France sur la prise en compte des enjeux de durabilité.

QUELLES SONT LES PRINCIPALES AVANCÉES DU DÉCRET D’APPLICATION DE L’ARTICLE 29 DE LA LOI ÉNERGIE-CLIMAT ?

Première avancée, le décret tient compte du caractère préexistant du reporting extra-financier pour les investisseurs en France, en conservant la publication sur les aspects positifs de la transition énergétique et écologique, la politique et les moyens qui y sont consacrés. La publication de cibles indicatives sur l’alignement avec les objectifs de l’Accord de Paris en matière de limitation du réchauffement climatique est également conservée.

Au-delà, pour mieux comprendre ce décret, il convient de l’interpréter comme un outil palliant l’absence de standards techniques européens (regulatory technical standards ou RTS) accompagnant la mise en oeuvre de l’article 3 du règlement « disclosure ». Cet article 3 traite des risques pesant sur la politique d’investissement au niveau de l’entité financière (le produit) et la manière dont ils sont pris en compte. Le décret fait un focus explicite sur les risques associés au changement climatique et un autre sur les risques liés à l’érosion de la biodiversité, distinction qui n’a pas été opérée en droit européen.

Enfin, le décret fournit aux investisseurs institutionnels un texte plus lisible et plus opérationnel que le décret d’application de l’article 173.6 de la loi de transition énergétique. Les informations demandées sont structurées autour des recommandations de la TCFD, à savoir de bien distinguer gouvernance, stratégie, gestion des risques et mesures d’impact.

QUELLES SONT LES ATTENTES EN TERMES DE REPORTING QUALITATIF SUR L’APPRÉCIATION DU RISQUE CLIMAT ET DES RISQUES LIÉS À LA BIODIVERSITÉ ?

Sur la limitation du réchauffement climatique, le décret requiert la publication d’un objectif quantitatif à horizon 2030, à réviser tous les 5 ans jusqu’à 2050 pour respecter à chaque fois des objectifs à date fixe : 2030, 2035, 2040, 2045 et 2050. Cet objectif intègre les émissions directes et indirectes de gaz à effet de serre, exprimées en valeur absolue ou en valeur d’intensité par rapport à un scénario ou par rapport à une année de référence. Il doit être publié et mesuré en termes de volume d’émission de gaz à effet de serre ou bien en termes d’augmentation de température implicite.

Le décret requiert aussi des détails méthodologiques pour évaluer l’alignement de la stratégie d’investissement sur les objectifs de l’Accord de Paris, sans pour autant qu’une méthodologie particulière ne soit imposée. En revanche, une transparence quant à l’utilisation de cette méthodologie est exigée. L’objectif ici est de pouvoir permettre aux investisseurs de tester le sérieux de leur approche et également d’assurer une comparabilité entre les différentes stratégies d’alignement.

Le décret livre une série de détails sur l’approche générale, la méthode utilisée, le niveau de couverture, les méthodes d’agrégation, l’utilisation des scénarios énergie climat, les incertitudes qui participent à l’élaboration de ce type de mesure, ainsi que sur les granularités sectorielle, géographique, temporelle, etc. Une autre section requiert également des précisions spécifiques sur les risques relatifs au changement climatique. Pour l’ensemble des risques ESG, des détails sont requis sur le processus d’identification, de priorisation et de gestion des risques. Le décret demande également de caractériser ces risques : sont-ils actuels, émergents, exogènes ou endogènes à l’entité ? Quelle est leur intensité ? Sur quel horizon de temps sont-ils évalués ? Sont aussi requis des éléments spécifiques sur le risque climatique, selon une segmentation entre risque physique, risque de transition, risque de contentieux. Là encore, une série de précisions méthodologiques sur la gestion de ces risques spécifiques est exigée.

L’estimation quantitative de l’impact financier des principaux risques ESG et celle de la proportion des actifs exposés et de l’horizon de temps associé à ces impacts, à la fois au niveau de l’entité et au niveau des actifs concernés, a été largement commentée par les fédérations professionnelles lors de la consultation sur le décret. Cette estimation doit notamment livrer une mesure d’impact sur la valorisation du portefeuille. Une publication d’ordre uniquement qualitative est possible, mais il est nécessaire de décrire les difficultés rencontrées et les mesures envisagées pour apprécier quantitativement l’impact financier des risques.

ET EN MATIÈRE DE BIODIVERSITÉ ?

Le décret requiert des éléments sur la stratégie d’alignement sur les objectifs internationaux de préservation de la biodiversité, tout en constatant que les avancées méthodologiques en la matière ne sont pas aussi importantes que sur le climat. Une COP dédiée à la biodiversité doit apporter à l’automne prochain des précisions sur la chaîne de valeur retenue pour établir cette stratégie d’alignement, avec de la même manière des objectifs sur la biodiversité qui pourront être fixés à horizon 2030, puis tous les 5 ans.

Le décret ne requiert pas d’objectifs quantitatifs. Il présente les indications à fournir sur la contribution à la réduction des principales pressions et des principaux impacts sur l’érosion de la biodiversité.

Comme pour le climat, une distinction claire entre les principaux risques liés à la biodiversité, le périmètre de la chaîne de valeur retenu, ainsi que le lien spécifique entre le risque et le secteur d’activité, la zone géographique de l’actif sous-jacent analysé doivent être précisés.

QUELS SERONT LES PRINCIPAUX DÉFIS À RELEVER EN MATIÈRE DE BIODIVERSITÉ, POUR RESPECTER LES O BLIGATIONS D ÉFINIES PAR L’ARTICLE 29 ?

La future Task Force on Nature related Financial Disclosure fournira des avancées importantes à la fois sur le reporting, l’identification des risques et leur mesure en amont pour les portefeuilles d’actifs. Nous allons avoir besoin d’une définition commune de la biodiversité.

Les objectifs internationaux vont évoluer avec la nouvelle COP consacrée au sujet cet automne et seront forcément plus ambitieux que les objectifs d’Aichi, qui n’ont pas été atteints, afin de tenir compte de l’accélération du rythme d’érosion de la biodiversité. Cela aura un impact sur les objectifs que se fixeront les institutionnels à horizon 2030, puis tous les 5 ans jusqu’à 2050.

L’amélioration des reportings extra-financiers des entreprises, en particulier la qualité des données disponibles, est un autre défi important pour mieux intégrer la biodiversité dans les stratégies d’investissement.

En lien avec l’article 3 du règlement « disclosure », le décret porte sur les risques liés à l’érosion de la biodiversité et la stratégie d’alignement avec les objectifs internationaux de préservation de la biodiversité. Cependant, les institutionnels et les gestionnaires d’actifs devront aussi intégrer à leur analyse sur la biodiversité les principales incidences négatives de la politique d’investissement.

Ce point sera traité dans les mesures d’application de l’article 4 du règlement européen. Il revêt des défis méthodologiques importants, notamment parce que les risques liés à l’érosion de la biodiversité et l’impact d’une stratégie d’investissement sur la biodiversité recoupent des informations souvent difficiles à distinguer.

QUELLES SERONT LES PROCHAINES ÉTAPES, UNE FOIS LE DÉCRET PUBLIÉ ?

Ce décret a été conçu comme un guide méthodologique à destination des investisseurs institutionnels et des gestionnaires d’actifs. Sa mise en oeuvre va nécessiter un travail de consolidation, de modélisation et d’exploitation des données.