
Une contradiction au cœur des systèmes de retraite européens
Selon une étude publiée en mars 2025 par la plateforme d’investissement Sphere, plus de 75 milliards d’euros issus des pensions de retraite des citoyens européens sont encore investis dans l’industrie fossile. Ces montants, issus aussi bien des régimes publics que privés, financent à leur insu des activités en contradiction directe avec les objectifs climatiques.
Intitulée “Investissement des retraites en Europe : un aperçu de l’exposition aux énergies fossiles par pays et par employeur”, cette étude révèle l’ampleur de l’exposition financière et appelle à des réformes en profondeur pour réorienter les placements vers des solutions durables.
Une exposition très variable selon les pays
Dans les pays où les pensions reposent majoritairement sur la capitalisation, comme les Pays-Bas, la Suède ou encore le Danemark, un citoyen peut voir plusieurs milliers d’euros de son épargne retraite placés dans des actions ou obligations liées au pétrole ou au gaz. À l’inverse, en France ou en Allemagne, les régimes publics sont principalement fondés sur la répartition, ce qui limite cette exposition à quelques centaines d’euros par personne.
Mais les fonds complémentaires et les réserves publiques investissent bel et bien sur les marchés financiers. En France, par exemple, le Fonds de Réserve pour les Retraites (FRR) gère environ 30 milliards d’euros d’actifs, dont 1 à 2 % seraient exposés aux énergies fossiles. Cela représente environ 2 milliards d’euros, soit près de 30 € par habitant.
Les retraites privées, plus exposées que les régimes publics
La part la plus significative des investissements fossiles en France provient des pensions privées et complémentaires, avec une exposition estimée entre 5 et 8 milliards d’euros. Ces fonds, souvent gérés par de grands assureurs ou institutions financières, investissent dans les multinationales du secteur comme Total Énergies ou Engie, ce qui rend leurs performances directement liées à l’industrie fossile.
Pour Alex Wright-Gladstein, fondatrice de Sphere, cette situation pose un problème éthique : « Assurer sa retraite ne devrait pas se faire au détriment de la planète. Il est urgent d’apporter de la transparence pour que les citoyens puissent savoir où va leur argent. »
Vers un alignement des retraites avec les objectifs climatiques
Malgré les blocages, des changements structurels s’opèrent. Plusieurs fonds de pension européens commencent à exclure les énergies fossiles de leur portefeuille et à adopter des critères ESG en phase avec l’Accord de Paris. Certains régulateurs vont jusqu’à augmenter les exigences de fonds propres pour les investissements fossiles, rendant ces placements moins attractifs.
L’étude de Sphere propose également plusieurs mesures concrètes pour accélérer cette transformation.
Des pistes d’action pour une retraite durable
- Transparence obligatoire : Sphere appelle les régulateurs européens à imposer une publication annuelle détaillée des avoirs des fonds de pension, à l’image du fonds souverain norvégien GPFG.
- Déclaration standardisée de l’exposition fossile : les fonds devraient être tenus d’identifier leurs investissements dans les énergies fossiles comme une catégorie spécifique, conforme au règlement SFDR de l’Union européenne.
- Utilisation de bases de données ouvertes et d’analyses automatisées : ces outils permettraient d’évaluer l’exposition réelle des retraites à l’industrie fossile même en l’absence de données directes.
- Transparence accrue des prestataires privés : les assureurs proposant des produits de retraite collective devraient rendre publics les détails de leurs fonds « par défaut », afin que les épargnants puissent faire des choix éclairés.
Retraite et climat : une réconciliation nécessaire
L’étude met en lumière une dissonance majeure : des systèmes censés sécuriser l’avenir des citoyens financent les activités à l’origine de la crise climatique. Pour inverser cette logique, la transparence et le choix sont essentiels. Cela implique d’offrir des fonds de retraite sans énergies fossiles, accessibles aux citoyens et employeurs soucieux d’aligner leurs finances avec leurs convictions environnementales.
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