La féminisation des entreprises du CAC40 : état des lieux et perspectives

féminisation des entreprises du CAC40

La féminisation des entreprises, en particulier au sein des grandes structures du CAC40, est un enjeu majeur pour la diversité et la performance économique. L’édition 2025 de l’Observatoire Skema de la féminisation des entreprises offre une analyse détaillée de la place des femmes dans la gouvernance et le middle-management des grandes entreprises françaises.

Cet article décrypte les avancées récentes, les impacts de la loi Rixain, l’évolution du plafond de verre, et la corrélation entre mixité et performance. Une lecture essentielle pour comprendre comment la féminisation transforme le paysage économique et sociétal.

1. L’état de la féminisation des entreprises du CAC40 en 2024

1.1 Une présence encore marginale aux plus hauts postes

Malgré les avancées réglementaires et les politiques d’inclusion, aucune femme n’occupe de poste de PDG parmi les entreprises du CAC40. Voici les chiffres clés au 1er janvier 2024 :

  • 0 femme PDG (contre 12 hommes)
  • 2 femmes présidentes du conseil d’administration
  • 3 femmes directrices générales
  • 6,25% de femmes aux postes de direction suprême

Ce constat met en lumière une gouvernance encore très largement masculine, bien que la féminisation des conseils d’administration et des comités exécutifs progresse. Ces chiffres illustrent également la difficulté pour les femmes à accéder aux postes de direction les plus élevés, malgré les progrès réalisés en matière de diversité et d’inclusion.

L’absence totale de femmes à la tête des entreprises du CAC40 est révélatrice des résistances qui persistent au sein du monde de l’entreprise. Même si la législation évolue en faveur d’une plus grande égalité, les stéréotypes de genre et les biais inconscients restent des freins majeurs à la progression des femmes vers les postes les plus prestigieux.

Les études montrent que les comités de sélection favorisent encore inconsciemment les profils masculins pour les rôles de direction, associant souvent le leadership à des qualités traditionnellement perçues comme masculines. De plus, le manque de mentorat et de réseaux professionnels solides pour les femmes dirigeantes contribue à cette stagnation.

Les conseils d’administration : un levier de changement encore limité

Si l’on constate des améliorations dans les conseils d’administration, où les femmes représentent 45,05% des administrateurs des entreprises du CAC40, leur accès aux rôles exécutifs stratégiques demeure restreint. La présence féminine dans ces conseils s’explique en partie par les quotas instaurés par la loi Copé-Zimmermann de 2011, imposant un minimum de 40% de femmes au sein des conseils d’administration. Toutefois, ces avancées ne se traduisent pas encore par un accès facilité aux postes de direction générale ou de PDG.

La persistance des freins culturels et organisationnels

Un autre facteur limitant la promotion des femmes à des postes de pouvoir réside dans les modèles d’organisation du travail et les normes culturelles encore fortement genrées. En France, les responsabilités familiales continuent d’être majoritairement assumées par les femmes, ce qui peut limiter leur disponibilité pour des postes très exigeants en termes de charge de travail et de mobilité internationale.

Certaines entreprises tentent néanmoins d’adopter des politiques plus inclusives en matière de flexibilité du travail et d’accompagnement des carrières féminines. Cependant, ces efforts restent encore trop ponctuels pour générer un véritable changement structurel.

En conclusion, bien que des avancées soient visibles sur certains aspects, la sous-représentation des femmes à la tête des entreprises du CAC40 témoigne encore de nombreux défis à relever pour une égalité réelle dans l’accès aux plus hauts postes du monde économique.

1.2 L’impact de la loi Rixain sur les comités exécutifs

La loi Rixain, imposant 30% de femmes au Comex en 2026 et 40% en 2029, commence à produire des effets visibles :

  • En 2024, la proportion de femmes dans les comités exécutifs atteint 27,98% (contre seulement 9,5% en 2014).
  • 5 entreprises dépassent d’ores et déjà le seuil de 40% : Engie, Kering, Pernod Ricard, Schneider Electric et Société Générale.
  • 14 entreprises comptent entre 30% et 40% de femmes dans leurs instances de gouvernance.
  • EssilorLuxottica est la seule entreprise à n’avoir aucune femme dans son Comex.

Si cette dynamique montre une ouverture progressive, certaines entreprises peinent encore à s’adapter aux nouvelles exigences de parité. L’un des enjeux majeurs réside dans la nécessité de ne pas uniquement nommer des femmes pour atteindre des quotas, mais de veiller à une réelle intégration et valorisation de leurs compétences.

Un impact différencié selon les secteurs

L’effet de la loi Rixain varie en fonction des secteurs d’activité. Les entreprises des secteurs de la mode, du luxe et des services affichent une féminisation plus avancée, tandis que l’industrie, la finance et l’aéronautique montrent encore des résistances importantes. La transformation culturelle dans ces milieux très masculinisés prend du temps et nécessite des politiques d’accompagnement adaptées.

En parallèle, certaines entreprises ont augmenté artificiellement la taille de leur comité exécutif pour atteindre les quotas imposés par la loi, plutôt que de promouvoir de véritables talents féminins. Ce phénomène, connu sous le nom de “l’effet ajout de chaises”, risque de limiter l’impact réel de la féminisation sur la prise de décision stratégique.

La nécessité d’une approche durable

Pour que la loi Rixain ait un impact réel et durable, les entreprises doivent aller au-delà des simples obligations légales et mettre en place des plans de carrière spécifiques pour les femmes, favoriser l’égalité salariale et instaurer des politiques de mentorat et de formation adaptées. La transformation de la gouvernance des entreprises passe également par une prise de conscience collective et une refonte des critères de sélection pour les postes de direction.

Des perspectives encourageantes

L’objectif de 40% de femmes au Comex en 2029 semble atteignable si la tendance actuelle se poursuit. Toutefois, pour que cette avancée ait un impact profond, il est nécessaire d’évaluer régulièrement les effets de cette féminisation sur la prise de décision, la performance des entreprises et leur gouvernance.

La mise en place d’indicateurs de suivi, associés à des obligations de transparence, permettrait de garantir que la féminisation des comités exécutifs ne soit pas qu’une obligation légale, mais bien une transformation culturelle et organisationnelle durable.

2. Le plafond de verre : une réalité persistante

2.1 Une progression notable, mais un écart encore important

En 2024, les femmes représentent 37,95% des Ingénieurs & Cadres, principal vivier de futurs dirigeants, mais seulement 27,98% des comités exécutifs. L’écart, aussi appelé “plafond de verre“, reste donc de 9,97 points.

Évolution du plafond de verre entre 2008 et 2024 :

  • 2008 : écart de 21,82 points (6,3% de femmes au Comex contre 28,12% d’Ingénieurs & Cadres)
  • 2024 : écart réduit à 9,97 points, soit une diminution de plus de 50% en 16 ans

Bien que cette tendance montre une amélioration progressive, elle illustre encore la difficulté des femmes à atteindre les postes de direction les plus élevés. Cette réduction de l’écart résulte notamment des efforts mis en place par certaines entreprises pour accroître la diversité, mais des disparités importantes persistent selon les secteurs d’activité.

Pourquoi cet écart persiste-t-il ?

L’un des freins majeurs réside dans la perception des compétences et des rôles attribués aux femmes dans le monde du travail. Malgré une meilleure représentation des femmes dans les métiers d’ingénierie et de gestion, elles restent sous-représentées dans les filières stratégiques menant aux postes de direction.

En effet, certaines entreprises continuent de privilégier les hommes pour les postes à forte responsabilité en raison de biais inconscients et d’une culture d’entreprise encore dominée par des schémas traditionnels. Le manque de modèles féminins dans les plus hautes sphères renforce également cet écart, les jeunes femmes ayant moins d’exemples de leadership féminin à suivre.

Un frein structurel dans certains secteurs

Le plafond de verre est particulièrement marqué dans certains secteurs comme :

  • L’industrie lourde et l’aéronautique : où la proportion de femmes dans les postes techniques reste faible.
  • La finance et l’ingénierie : où les stéréotypes de genre influencent encore fortement le recrutement et la promotion des cadres féminins.
  • Les nouvelles technologies : bien que progressant, ce secteur affiche encore des résistances en raison d’une domination masculine historique.

À l’inverse, des secteurs comme les services, la mode ou le luxe affichent une meilleure représentation féminine, illustrant que la féminisation des comités exécutifs est plus facile à mettre en place dans des environnements historiquement plus mixtes.

Des efforts à poursuivre pour briser le plafond de verre

Les entreprises ont un rôle clé à jouer pour accélérer la féminisation des postes de direction. Parmi les solutions envisagées :

  • Mise en place de plans de succession inclusifs, permettant aux femmes d’accéder aux postes clés.
  • Mentorat et sponsoring actifs, favorisant la montée en compétence des talents féminins.
  • Évaluation transparente des promotions, afin de s’assurer que les femmes aient un accès équitable aux opportunités d’avancement.

La progression est bien engagée, mais pour atteindre une réelle parité, il est essentiel que les entreprises s’attaquent aux causes profondes de cet écart en transformant leur culture et leurs processus de gouvernance.

2.2 Les entreprises les plus inégalitaires

Certaines entreprises se distinguent par un écart important entre la proportion de femmes cadres et leur présence dans le Comex. Cet écart, aussi appelé plafond de verre, reflète les obstacles persistants que rencontrent les femmes pour accéder aux postes les plus élevés de la gouvernance des entreprises.

Prix citron (plafond de verre le plus élevé) : LVMH

  • 65% de femmes parmi les Ingénieurs & Cadres
  • Seulement 12,5% de femmes au Comex
  • Plafond de verre de 52,5 points

Ce chiffre montre une incohérence notable entre la féminisation des effectifs et l’accès aux postes de direction. LVMH, bien qu’employant une majorité de femmes dans ses effectifs qualifiés, peine à leur offrir des perspectives de carrière jusqu’aux niveaux exécutifs.

Les raisons de ce décalage peuvent être multiples : absence de dispositifs internes favorisant la promotion des femmes, biais culturels sur la perception des rôles de leadership ou encore concentration des femmes dans des fonctions support moins propices à l’accession aux Comex.

Prix orange (meilleure progression en parité) : Safran

  • 26,2% de femmes parmi les Ingénieurs & Cadres
  • 26,32% de femmes au Comex
  • Plafond de verre réduit à -0,12 points

Safran illustre un modèle plus équitable où la proportion de femmes dans les effectifs se reflète directement dans la gouvernance. Cet équilibre est le fruit d’une politique active de promotion de la diversité, combinant programmes de mentorat, formations spécifiques et engagements forts en matière d’inclusion.

Les leviers pour réduire ces écarts

LVMH et Safran offrent deux exemples contrastés de la manière dont les entreprises abordent la question de la parité au sein de leur gouvernance. Pour que d’autres entreprises puissent réduire leur plafond de verre, plusieurs actions peuvent être mises en place :

  • Mise en place de quotas internes pour garantir un accès équitable aux promotions.
  • Formation des managers aux biais inconscients afin de favoriser un recrutement plus diversifié.
  • Développement du mentorat et du coaching pour accompagner les talents féminins vers des postes stratégiques.
  • Évolution des critères de sélection des dirigeants pour inclure une plus grande diversité de parcours et de compétences.

Si certaines entreprises comme Safran montrent qu’une approche proactive fonctionne, d’autres, comme LVMH, doivent encore mettre en place des mécanismes plus efficaces pour assurer une ascension plus équitable des femmes aux postes de pouvoir.

En conclusion, la lutte contre le plafond de verre ne repose pas uniquement sur des obligations légales, mais aussi sur une réelle transformation des pratiques internes et des mentalités au sein des organisations.

3. Féminisation et performance des entreprises

3.1 Un impact positif sur la rentabilité

L’étude met en évidence une corrélation positive entre mixité et performance financière. Plus la part de femmes dans les entreprises est élevée, plus la rentabilité est forte. Cette corrélation repose sur plusieurs facteurs, notamment la diversité des compétences, une meilleure gestion des ressources humaines et une approche plus inclusive de la prise de décision.

Données et chiffres clés

  • Corrélation entre féminisation du Comex et rentabilité : 0,3746
  • Corrélation entre féminisation de l’encadrement et rentabilité : 0,4628
  • Corrélation entre féminisation des effectifs et rentabilité : 0,5180

Les entreprises les plus féminisées enregistrent une rentabilité supérieure de 97,4% à celles les moins féminisées. Cette donnée souligne l’impact économique concret de la diversité au sein des équipes dirigeantes.

Pourquoi la mixité améliore-t-elle la rentabilité ?

Une prise de décision plus équilibrée

La diversité de points de vue au sein des instances dirigeantes permet de réduire les biais cognitifs et d’améliorer la qualité des décisions stratégiques. Des études montrent que les équipes mixtes sont plus performantes dans l’analyse des risques et dans la gestion des crises, ce qui se traduit par une plus grande stabilité financière.

Une meilleure compréhension du marché

Les femmes représentant plus de 50% des consommateurs mondiaux, leur présence dans les organes de direction favorise une approche plus inclusive du développement de produits et des stratégies marketing. Une gouvernance mixte permet donc aux entreprises de mieux capter les attentes de leur clientèle et d’adapter leur offre en conséquence.

Une culture d’entreprise plus innovante

La diversité favorise la créativité et l’innovation. Les entreprises ayant des équipes dirigeantes diversifiées sont plus susceptibles de développer de nouveaux produits et services, d’améliorer leur compétitivité et de s’adapter aux évolutions du marché.

Une réduction des conflits et une meilleure gestion des ressources humaines

Les entreprises avec une forte représentation féminine au sein du management enregistrent des taux de satisfaction et de fidélisation des employés plus élevés. Une gestion plus inclusive et participative favorise le bien-être des salariés, réduit le turnover et améliore l’engagement des équipes.

3.2 Un impact majeur sur la RSE

La féminisation a également un impact majeur sur la responsabilité sociétale et environnementale (RSE), en réduisant les risques liés aux pratiques sociales et environnementales des entreprises.

Des impacts mesurables sur la performance sociétale

L’étude montre des corrélations fortes entre la féminisation des instances dirigeantes et une meilleure gestion des enjeux sociétaux :

  • Baisse de 29,7% du risque sociétal lorsque la part de femmes dans le Comex augmente. Cette réduction s’explique par une meilleure prise en compte des problématiques sociales, telles que l’égalité salariale, le bien-être des employés et la lutte contre les discriminations.
  • Baisse de 41,66% du risque sociétal avec un nombre plus important de femmes dans l’encadrement. Une gouvernance mixte encourage des politiques RH plus inclusives, favorisant un climat de travail plus équitable.

Un impact environnemental significatif

L’étude révèle également que la féminisation des entreprises est un facteur déterminant dans l’amélioration de leur performance environnementale :

  • Baisse de 79,65% du risque environnemental avec plus de femmes dans les effectifs. Les entreprises comptant davantage de femmes ont tendance à adopter des stratégies plus durables, réduisant leur empreinte écologique grâce à une meilleure gestion des ressources et une sensibilisation accrue aux enjeux climatiques.

Pourquoi les entreprises féminisées sont plus engagées en RSE ?

Les organisations ayant une gouvernance plus équilibrée intègrent mieux les préoccupations sociétales et environnementales dans leurs décisions stratégiques. Plusieurs raisons expliquent cette dynamique :

  • Une approche plus éthique du leadership : Les dirigeantes ont souvent une approche plus inclusive et soucieuse du bien-être collectif, ce qui favorise une gestion plus responsable.
  • Un engagement plus fort dans la transparence : Les entreprises avec une forte présence féminine ont tendance à adopter des pratiques de gouvernance plus transparentes, réduisant ainsi les risques de controverses et d’abus.
  • Une sensibilité accrue aux problématiques sociales et environnementales : Les femmes managers sont souvent plus impliquées dans des initiatives RSE, favorisant des politiques durables au sein des entreprises.

Des exemples concrets de bonnes pratiques

Certaines entreprises du CAC40 se démarquent par leurs initiatives en faveur de la mixité et du développement durable :

  • L’Oréal : Forte présence féminine dans la gouvernance et engagement en faveur de la réduction des déchets plastiques.
  • Engie : Actions concrètes pour l’égalité des chances et programmes ambitieux pour la transition énergétique.

Vers une transformation durable de l’entreprise

Les résultats de l’étude montrent que la féminisation des entreprises ne se limite pas à une question d’égalité, mais qu’elle constitue un levier essentiel pour améliorer leur impact sociétal et environnemental. En intégrant davantage de femmes aux postes clés, les entreprises peuvent renforcer leur engagement en faveur d’une économie plus responsable et durable.

À retenir sur la féminisation des entreprises du CAC40

L’édition 2025 de l’Observatoire Skema met en lumière des avancées significatives dans la féminisation des entreprises du CAC40, notamment grâce à la loi Rixain. Cependant, l’accès aux plus hauts postes reste extrêmement limité pour les femmes.

L’enjeu pour les prochaines années sera de poursuivre cette dynamique, en mettant en place des politiques RH plus inclusives et en renforçant la mixité dans l’encadrement pour garantir un changement durable et profitable à toutes les parties prenantes.

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