L’argentine face à un tournant radical : le pari économique de Javier Milei

Javier Milei

L’arrivée au pouvoir de Javier Milei en Argentine marque une rupture brutale avec les pratiques économiques traditionnelles du pays. Armé d’un programme ultralibéral, de symboles provocateurs et d’un discours anticonformiste, le nouveau président a engagé une réforme en profondeur de l’économie argentine en trois phases. Portées par un rejet massif de la classe politique en place, ses mesures ont bouleversé le modèle social et institutionnel argentin. Mais derrière les chiffres encourageants, les tensions politiques et sociales restent vives, et l’avenir du pays repose plus que jamais sur un équilibre instable entre rigueur, confiance populaire et perspectives électorales.

Javier Milei : une campagne atypique pour une rupture radicale

Avant même d’accéder à la présidence, Javier Milei s’était imposé comme une figure iconoclaste de la vie politique argentine. Économiste autodidacte, partisan de l’anarcho-capitalisme et chantre de l’« école autrichienne », il a utilisé des symboles chocs pour faire passer ses messages : piñatas en forme de banque centrale, tronçonneuses brandies lors de meetings et alter ego de super-héros libertarien. Son programme prônait notamment la suppression de la banque centrale et la dollarisation totale de l’économie.

Ce positionnement radical a suscité des inquiétudes profondes chez les économistes, mais il a trouvé un écho favorable dans une population exaspérée par des décennies d’inflation, de corruption et de stagnation. En novembre 2023, il remporte une large victoire présidentielle avec près de 56 % des voix, mais son jeune parti, La Libertad Avanza, reste minoritaire au Parlement. Pour mener ses réformes, il devra user de tactique, d’alliances et d’un usage extensif du pouvoir exécutif.

Première phase : Javier Milei et austérité choc et restructuration de l’état

Dès son investiture, Milei met en œuvre une thérapie de choc brutale. En décembre 2023, il dévalue le peso de moitié, supprimant la distorsion entre taux de change officiel et taux parallèle. Les plafonds sur les prix des services, des loyers et de nombreux produits sont levés, provoquant un bond immédiat de l’inflation. Parallèlement, le gouvernement engage une réduction massive des dépenses publiques : suppression de ministères, licenciement de fonctionnaires, abandon des grands travaux, coupes dans les aides sociales et fin des subventions aux services essentiels.

Cette stratégie vise à rétablir l’équilibre budgétaire, objectif atteint dès le premier trimestre 2024, une première depuis plus d’une décennie. L’inflation, bien qu’explosive en décembre 2023 (25,5 %), chute rapidement à 2,2 % en janvier 2025. Mais ces résultats économiques ont un coût social élevé : le taux de pauvreté grimpe jusqu’à 55 % avant de redescendre, et la population subit une forte dégradation du niveau de vie.

Deuxième phase : refondation du cadre monétaire et financier

À partir de juin 2024, Milei engage la deuxième étape de sa réforme : la stabilisation monétaire. Il modifie profondément les mécanismes de politique monétaire en transférant la charge des intérêts bancaires de la banque centrale au Trésor. Ce changement empêche l’émission monétaire inflationniste destinée auparavant à financer ces intérêts, et permet à la banque centrale de relever ses taux de manière crédible sans alimenter l’inflation.

Cette réforme redonne une certaine autonomie à la politique monétaire tout en instaurant un début de confiance auprès des investisseurs. Le cadre budgétaire devient plus cohérent, et les marchés saluent cette démarche avec un relèvement de la note souveraine argentine par Moody’s dès janvier 2025. Cette évolution crée les conditions nécessaires pour ouvrir le marché et intégrer l’Argentine dans l’économie mondiale de manière plus stable.

Troisième phase : ouverture économique et ambition internationale

En avril 2025, Milei enclenche la dernière étape de son programme avec l’ouverture progressive du marché des changes. Le système complexe de taux multiples est remplacé par un taux de change unifié, évoluant dans une fourchette ajustée mensuellement. Les contrôles sur les devises sont allégés, les entreprises peuvent rapatrier leurs bénéfices, et les règles commerciales sont assouplies.

En parallèle, l’Argentine signe un accord avec le FMI et d’autres prêteurs internationaux pour renforcer ses réserves de change, sécuriser la stabilité financière et préparer d’éventuelles turbulences. Le pays joue également un rôle clé dans la finalisation d’un accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur, illustrant une volonté de repositionnement stratégique à l’international.

Les effets sociaux d’un changement brutal de Javier Milei

Malgré des indicateurs macroéconomiques encourageants, la population argentine peine à suivre le rythme de ces transformations. La consommation intérieure s’effondre, en particulier dans des secteurs symboliques comme celui de la viande, autrefois pilier de la culture argentine. Les soins de santé deviennent inaccessibles pour une partie de la population, les retraites sont réduites, et les aides sociales disparaissent.

Face aux protestations, le gouvernement réagit avec fermeté. Un protocole controversé accorde des pouvoirs élargis aux forces de l’ordre pour disperser les manifestations. De plus, Milei gouverne souvent par décrets, contournant un Parlement qui lui reste hostile. Ses opposants dénoncent une dérive autoritaire et une mise à mal de l’équilibre démocratique.

Les élections de mi-mandat, un test décisif

Le 26 octobre 2025, les élections législatives de mi-mandat représenteront un moment crucial pour Javier Milei. Si son parti parvient à accroître sa représentation parlementaire, il pourra consolider ses réformes. En revanche, un échec électoral pourrait limiter son pouvoir, ouvrir la voie à une révision de ses prérogatives exécutives, voire enclencher des discussions sur une éventuelle destitution.

Les premiers scrutins locaux donnent des signaux contrastés. À Buenos Aires, la LLA atteint 30 % malgré une abstention record, signe d’une base militante encore active mais d’un soutien populaire en érosion.

Un avenir incertain entre croissance et fractures

L’Argentine entrevoit une embellie économique : les réserves monétaires augmentent, les investisseurs reviennent, et le pays bénéficie du boom énergétique grâce à l’exploitation de Vaca Muerta. Les exportations de pétrole, de gaz, de cuivre et de lithium pourraient transformer durablement les comptes extérieurs. Mais cette perspective dépend d’une condition essentielle : la stabilité politique et sociale.

Si Milei parvient à canaliser les tensions, à préserver les institutions et à faire évoluer son image de chef de guerre économique vers celle d’un bâtisseur durable, il pourrait redéfinir le modèle argentin. Dans le cas contraire, les tensions actuelles pourraient dégénérer en crise politique profonde, réduisant à néant les gains obtenus.

Le pari de Milei est clair : sacrifier le présent pour garantir un futur prospère. Reste à savoir si les Argentins auront la patience – et la capacité – d’attendre.

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